La clause interdisant aux distributeurs agréés de produits de luxe de vendre leurs produits par l’intermédiaire de plateformes en ligne non agréées est-elle valable ?

Cette question, pour laquelle il n’existait jusqu’à présent aucune réponse claire, vient d’être tranchée par la Cour de justice de l’Union européenne par un arrêt du 6 décembre 2017, dit « arrêt Coty ».

Etait en cause une clause des contrats de distribution agréée de produits de luxe du groupe de parfums et cosmétiques Coty, interdisant ses distributeurs à vendre les produits sur des plateformes tierces qui, par définition, n’ont pas été agréées.

Le litige était né du fait qu’un distributeur agréé avait refusé de consentir à cette clause et avait mis en vente les produits sur la plateforme Amazon.

SOLUTION

La Cour a retenu la validité de ces clauses interdisant la revente de tels produits sur des plateformes tierces.

Cette solution est évidemment déterminante pour l’avenir du commerce en ligne de produits de luxe dans l’Union européenne. En effet, les plateformes de vente en ligne sont devenues des acteurs incontournables du commerce. Amazon, par exemple, a reçu en 2016 sur son site français la visite de 11 millions de consommateurs en moyenne chaque mois, pour un volume d’affaire estimé à 8 milliards d’euros. Sachant que le marché européen des produits de luxe a bondi de plus de 7 % en 2017, cette décision était très attendue par les acteurs du secteur.

La Cour de Justice justifie cette interdiction contractuelle, limitative de la liberté commerciale des distributeurs, par le fait qu’elle est d’abord consubstantielle à la nature « exclusive » de la distribution agréée. De plus, le fournisseur de produits de luxe n’étant pas lié contractuellement à la plateforme tierce, il n’est pas en mesure de contrôler les conditions de vente de ses produits.

En outre, la Cour relève que les conditions de vente sur les plateformes en ligne sont communes à tous les produits, ne distinguant pas suivant le type de produits, de luxe ou non, ce qui est de nature à ternir l’image de marque attachée aux produits de luxe. De même, on peut penser que la présence sur ces sites de multitudes d’éléments, comme les bandeaux publicitaires, les indications de « Soldes » ou d’ « Outlet », ou encore la présence de classements de produits et de recommandations, est aussi susceptible de nuire à l’image de marque de ces produits.

Cette interdiction serait d’autant plus justifiée car, comme le rappelle la Cour dans son arrêt, selon la Commission européenne, 90 % des distributeurs agréés exploiteraient leur propre boutique en ligne. Autrement dit, l’accès des consommateurs aux produits de luxe, même absents des plateformes, n’est pas entravé !

PORTEE

A la lecture de l’arrêt, l’interdiction de la revente sur des plateformes tierce semble néanmoins comporter une nuance, dont l’interprétation reste ambigüe : la Cour cantonne en effet sa décision aux clauses interdisant de recourir « de manière visible » à des plateformes tierces.

Pourquoi seulement « de manière visible » ?

Il ne semble d’abord pas que l’expression figure dans la clause litigieuse ayant donné lieu à l’arrêt, ce qui aurait pu expliquer que la Cour ait conservé cette expression.

En réalité, la Cour a d’abord certainement entendu dire qu’il importait peu que le site de vente en ligne ne soit pas la « propriété » du revendeur, ni que ce dernier ne l’exploite personnellement, tant que le consommateur a l’impression de visiter le site du revendeur, répondant à toutes les conditions de qualité exigées par le fournisseur.

Ensuite, l’expression « de manière visible » pourrait aussi faire référence aux techniques de présentation dites « embedded » (en français : encastrées ou incrustées), qui serait dès lors peut-être autorisées. La technique consiste à utiliser les ressources informatiques d’un tiers (par exemple les lecteurs de vidéo de Youtube) sur un autre site. On pourrait par exemple penser à utiliser un module de vente d’une plateforme sur le site d’un distributeur agréé, tout en utilisant la chaîne logistique de la plateforme... Dès lors que le consommateur pense toujours naviguer sur le site du revendeur agréé, et y accomplir ses achats, alors le recours à des plateformes tierces pourrait être considéré comme « invisible ».

Sous cette réserve, l’arrêt Coty, en faisant primer la liberté du choix des modes de distribution, déclare donc ouverte la chasse aux produits de luxe vendus illicitement sur les plateformes !